Les mots se baignaient comme des gamins dans la rivière.
Je les ai surpris alors que monsieur Nuit, endormi sur la rive, laissait sa besace s'ouvrir et déverser son chaos nonchalant et grouillant. Comme des grenouilles ils sautaient dans l'eau, l'un après l'autre, avec des bruits sucés, happés, naissant des vases et des langes entremêlés. Je les devinais frileux et tièdes, dérangés dans leur nudité. Ils fusaient par petits groupes, involontairement lâchés de leur prison, déployaient des petits bras, disparaissaient dans l'obscur manteau du courant.
Je me tiens coi. Ils me prennent pour l'un des leurs ; et ils n'ont pas complètement tort. J'aimerais les rejoindre. Mais je ne sais pas si je suis au passé ou au futur, avant ou après leur temps, quelle est ma mesure, quand dois-je entrer dans le chant, dans le champ. Ou si j'en suis déjà sorti — déjà écrit, ça c'est certain. Je suis un lambeau dans cette eau, comme dans ce sac. Monsieur Nuit est le chef d'orchestre endormi, le chef d'orchestre retraité. Il est une image de moi-même, un collègue d'une autre génération. D'une autre mère.
J'ai perdu beaucoup de mots. Je vois là, aussi, une métaphore de ma mémoire. Je me blottis contre l'épaule de monsieur Nuit et je m'endors.
Je suis nul à la pédale. Mais ce n'est pas encore une priorité de mes apprentissages, pensé-je dans mon sommeil.
En exergue une peinture d' Emilio Vedova
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