Le tableau n'est sorti d'aucune peinture mais il est bien là, grandeur réelle, en plein air et j'y suis installé de dos au premier plan, des pavés alignés en gerbes ondulantes devant moi avec une délicatesse d'ailes de papillons, se soulevant légèrement du sol jusqu'au pied du grand arbre qui occupe presque tout le fond, ébrouant lentement sa masse de feuilles fadissantes comme seuls savent le faire les platanes, contre le ciel nuageux, deux oiseaux de bronze devant lui, droits sur leur longue patte trempant dans l'eau d'un petit bassin ovale ou peut-être rond d'où jaillissent des flèches d'eau moussante.
Dans le tableau que le soleil parcourt en alternant sa chaude lumière à la fraîcheur des nuages, se déverse une moisson brûlante qui tache tout d'un coup de flamme claire une feuille de platane tombée verte et une petite bête ronde — punaise — se met en route lentement sur les pavés.
Rentrer dans un tableau, sortir d'un livre, se trouver au cœur d'un concert, être acteur dans une scène de foule ou investi plus ou moins profondément dans les vies qui viennent, joyeuses, douloureuses, le plus souvent chevauchant d'insaisissables rêves, voilà que le tableau, à mesure que passent ou affluent des personnages, s'anime comme une forêt...
Voilà un — comment dire ? — miracle ou aperçu de la vie ordinaire des personnages demi-fictifs qui vivent incognito dans la ville, pendant que le loup n'y est pas.
En exergue, Jacqueline Marval, nu étendu, 1909
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