Carnet de train


 J'attends le train au soleil d'une matinée d'automne, déambulant dans les allées spacieuses et arborées du vaste parking entourant la très fonctionnelle gare ferroviaire pour trains à grande vitesse. L'air est presque printanier, lumineux, d'une douce fraîcheur, pourtant je suis mal à l'aise, mon corps comme en état de crainte de je ne sais quoi, de ces tâches à réaliser correctement — préparatifs de bagages, vêtements, billets, horaires, autant de détails insécurisants. Tout s'arrange dès qu'on se glisse entre les portiques d'entrée, dans un flot ou même un ruisseau, bien canalisé, entre des voies, sur des rails. La crainte, que l'on a supposée due à toute cette matérialité vaguement étrangère à soi dans laquelle il faudrait s'insérer, commence à s'effacer à mesure qu'on s'est rendu conforme au mouvement.
En regardant par la fenêtre le paysage qui défile je prends la mesure de la gravité du problème : dehors aussi, rien n'est laissé à son penchant naturel, je découvre avec une acuité nouvelle combien le paysage est contraint en routes, en parcelles, en bosquets, en quartiers, nous subissons le même plan de domestication.
Le train ne s'attarde pas, il permet de rêver, de se retrouver un instant dans une terre débridée, où nous ne serions que des animaux, des habitants curieux de découvrir et d'approcher les secrets qui s'offrent à nous.
Mais dans les rues de la ville nous sommes des troupeaux sordides qui nous croisons et je n'ai qu'une hâte, mes tâches accomplies, remonter dans le train, poursuivre le projet de tracer sur mon carnet des lignes de mots qui s'élèveront au-dessus des rails, qui ne conduiront plus à la guerre mais se perdront dans les secrets de la terre insoumise.

Collage-peinture de Marie Hubert

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