Après une brève séance sur le piano il sort. Il porte une légère angoisse qu'il perçoit sans s'y attarder car il la sait liée à l'âge du déclin et à la solitude grandissante. Hier une expérience l'a marqué : alors qu'il s'était arrêté sur le quai, accoudé à la balustrade métallique, son carnet posé sur une sorte de boîtier qu'elle comporte là, et qu'il prenait le temps de dessiner, tant bien que mal, le pont, dont il voulait fixer le nombre d'arches dans sa mémoire, un homme s'est arrêté observant ce qu'il faisait et ils ont conversé un moment, au sujet du pont, de cette sorte d'armature de métal surajoutée à la pierre dans sa partie supérieure. Un homme disert et attentif, au tournant de l'âge, qui eut une remarque attentionnée envers sa femme qui avait continué le chemin d'un pas ou deux, pour l'associer à la rencontre. Satisfait de son croquis approximatif, il s'était élancé dans les ruelles montantes du retour, enjambant les escaliers pavés avec une énergie qui le surprit, il mit bientôt ceci sur le compte de cette simple rencontre à la chaleur inhabituelle.
Et cet après-midi il sort presque emmitouflé dans son sweat à capuche, quoique le soleil semble vouloir percer maintenant. À la sortie des passages-piétons franchissant les deux axes de circulation, l'allée entre les fleurs du petit square, juste en face, monsieur Nuit est là dans l'arbre, qui le regarde en souriant de sa bonne bouille qui s'éclaire graduellement, jusqu'à avoir pris possession en trois secondes de l'immense platane tout rond, et qui le régale d'une grosse embrassade de bienvenue. Et le sortant de ses joues rayonnantes dans une grosse bouffée de soleil doré, il l'assoit sur un banc "Regarde ce beau temps que nous avons !" lui dit-il. Un long vol plané de pigeon traverse entre eux sans un bruit, le laissant ébahi. L'astre solaire chauffe à plein maintenant. Il n'est pas vraiment étonné que monsieur Nuit et le Soleil soient à ce point complices.
En exergue, peinture de Berthe Morisot
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