Le voyage


 

Viens faire un tour, dit Rêve à son Bœuf. 
Depuis quelques jours, le rêve passe prendre le bœuf lorsqu'il a une idée à partager. Ils font le tour du champ.
Très vite le champ n'est plus un champ, Rêve n'est plus un papillon, c'est une calèche, et Travail (le bœuf)  ne sent plus son poids, debout derrière sur la plateforme, la robe au vent. Tandis que papillon volette, soulevant de terre l'attelage, bœuf a la tête légère, le mufle au vent, et profite du paysage. Papillon l'emmène dans des jolis coins qu'il n'avait jamais vus. Tout en humant l'air parfumé il fait son travail de bœuf hochant la tête, se bougeant les flancs avec cadence, balançant méthodiquement la queue, pulsant l'air de ses naseaux, contractant, relâchant les jarrets, le tout avec autant de sérieux que de facilité, se disant qu'après tout il préfère labourer les sentiers de Rêve plutôt que les champs du paysan. Le travail n'en est pas moins fait.
Papillon est satisfait, il se sent presque utile, il ne volette plus pour rien sans savoir jamais si ses découvertes, ses glissades, ses entrechats, ses adages, ses kaléidoscopiques compositions ont quelque effet sur les couleurs des artistes, les idées des philosophes, ou jettent des étoiles sur le clavier des musiciens, ou du grain à moudre dans le moulin des conteurs. Mais Travail le rassure.
Au soir ils trouvent une place non loin d'où ils étaient partis, ils s'endorment l'un sur l'autre.
Une idée frappe le bœuf, soudain. Le paysan, pense-t-il, autrefois m'appelait Papillon, et mon frère Bruno, je crois.

En exergue, une peinture d'Albert Marquet.

Commentaires