Monsieur Philosophe pose ce titre en haut de la page et commence à écrire pour s'aider à réfléchir mais au fil des lignes ses deux protagonistes se sont tellement emmêlés qu'il renonce à les distinguer. Vous m'embrouillez ! s'exclame-t-il. Mettez-y un peu du vôtre !
Il retire ses lunettes et laisse aller ses yeux dans le vague. L'air léger a tourné la page. Le rêve sous la forme d'un petit papillon bleu s'est posé sur le travail. Le travail, lui, a repris la forme d'un bœuf, la plus pratique, il s'y est glissé sans hésiter, comme s'il n'en connaissait pas d'autre. Et tous deux se sont mis à parler, parler, parler, ils ont tant de choses à se dire ! on se demande comment ils ont pu être séparés un jour. Ils décident, d'ailleurs, de ne plus se quitter. Tu pourrais pondre tes œufs sur moi, dit le bœuf. J'avais la même idée, dit le papillon. Et les voilà mariés, pour ainsi dire.
À peu de distance de là, une petite fille montre à son père, à son jour de visite, la boîte à savon qui lui sert à écrire et dessiner : c'est une boîte en bois, de la taille d'une ardoise, qui contient une petite clayette qu'on peut retirer, il y a dessous le matériel : papier, crayon, pinceau, godets de couleurs, elle peut servir de support pour le dessin et l'écriture. Ils ont beaucoup de choses à se dire, elle et son papa. Les autres jours il travaille. Quelquefois un petit papillon vient tourner autour d'elle et c'est à lui qu'elle parle, ou au chat.
L'homme (qui travaille, ou travaillait, comme philosophe) se retrouve avec les clés de son ami. Ce serait un petit peu long à raconter, et surtout compliqué, l'ami chantait avec sa guitare une très belle chanson triste et s'en allait tout seul après — compliqué ensuite (et long) parce qu'il écrit l'histoire que lui racontent ses rêves : il a l'impression qu'un papillon vient l'endormir et dépose des rêves qui se déroulent dans sa tête, sans s'arrêter. Il se réveille pour les écrire et met la feuille dans un trou qu'il a découpé en forme de petit placard dans le mur. Revenant chercher sa feuille il vient de découvrir que ce grand atelier est occupé également par un artiste qui a placardé ses grandes feuilles dessinées sur les murs et le petit placard est recouvert. Ils font connaissance et s'entendent bien mais le ci-devant philosophe (appelons-le papa) met un certain temps à retrouver le placard derrière une feuille et à l'ouvrir délicatement. Entretemps il a oublié ce qu'il devait écrire. Ça lui arrive souvent, et ça ne revient pas facilement (ou pas du tout, ou tout déformé, emmêlé, troué et déchiré). Il revient à la maison où l'enfant est avec sa mère. La maman est habillée d'orange, elle ressemble à une grande fleur dans les yeux de l'enfant qui l'écoute. Elle dit à cet instant : Mon histoire est épuisée, refermons le poulailler. Voyant l'homme elle lui dit : Qu'est-ce que tu viens faire, Carine va dormir maintenant.
Kandinsky, Orientalische, 1909, huile sur carton
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