Monsieur Temps se baigne à la rivière. Il a pris un livre.
Elle voit arriver une phrase. Mouillée déjà, ses premiers mots s'imbibent, se courbent, fléchissent un peu sur eux-mêmes, laissant paraître : il ne savait pas la violence, et plus loin : qui s'exerce, puis : quand on cherche à contrôler les émotions des autres. Elle enroule cette phrase dans son estomac comme un linge absorbé dans le courant qui passe derrière le hublot d'un lave-linge. On la voit s'emmêler, se retourner parmi celles qui ont revêtu ou dévêtu ses membres précédents, les aisselles, les genoux, les cuisses où se tenait et glissait l'effort. L'effort de cacher puis de lâcher, de ressaisir, de garder le sens odorant, envoûtant du dire, du penser, du révéler. Il se cognait, il s'arrêtait sur un pas, sur une plante de pied, sur une cheville, sur un cou. Il repartait se dissimuler, s'enfouir et refaire surface dans le dos d'une phrase ancienne, échappant au frisson, au tremblement, de justesse, à la sueur.
Elle avale et fait un roulé boulé, un baiser long, effilé, échoué sur ses cailloux, ses vases, ses argiles. Elle fait enfin revenir le soleil qu'elle tenait prisonnier dans ses orbes, ses creux, et il bondit. Il ne connaît pas la violence de la peur, de la crainte. Il attend son heure, son temps.
La phrase a séché dans le livre. Ses mots ont la couleur des coquillages, ils sont alignés pour un jeu d'enfant sérieux, des mots traduits de l'espagnol, choisis dans un livre d'Argentine, petits cailloux d'argent, La viuda de los Van Gogh, non, on ne se partage pas les émotions des autres, mais seulement les reflets de leur soleil sur les cailloux, les ombres de leur nuit sur les feuilles.
Van Gogh, Champs de blé vert, Auvers, 1890
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