Ce que j'aime par-dessus tout ce sont ces petites gloussailleries des hirondelles au ventre blanc, court fuselées, aux ailes delta, hirondelles de fenêtre dit-on, lorsqu'elles accrochent mon attention, me font lever la tête, me racontent dans leur glossolalie leur joie, leur jeu, leur entrain, comment dire ? Elles extériorisent dans la danse et le gromelot qui leur sont naturels leur moment de vie, cette parcelle de leur temps que par miracle je partage, parcelle de ciel, miette d'espace captée, dégustée ensemble.
il n'en faut pas plus pour un bonheur.
Et les pas dans la rue vont sur la place où un groupe de musiciens fait ses réglages de sons. En ce début de soirée le soleil est sur les arbres quand dans l'ombrage de la terrasse la brise légère et la fraîcheur des deux fontaines aspergent l'air doucement. La bière sucrée dans le verre attire une guêpe qui s'y laisse prendre, le crayon lui tend la perche pour la sauver de la noyade.
Moment de plénitude. Le corps, l'esprit, tous les sens sont satisfaits. Pourquoi, et comment, poursuivre la tâche d'écriture solitaire ? Les flâneurs affluent doucement à l'approche du concert, presque au-dessus d'eux un homme à grandes enjambées, grand lui-même, traverse la place, ses deux gros sacs, l'un devant en poitrine et l'autre au dos, portés avec aisance comme un dromadaire porte ses bosses perchées sur ses grandes pattes agiles. Tout continue hors cadre et à travers, sans récit ni peinture, cinéma ou photo, la vie sociale et la vie naturelle à la pointe de l’œil, à la crête des sens. N'est-ce pas suffisant à la pleine satisfaction... ou indécollable quelque part restera-t-il un désir d'art, d'écriture, de conquête ?
La guêpe trempée, affolée, titube sur la table glissante avant de décoller en flèche, légère à nouveau. Le crayon retourne poser sa trace sur le carnet à l'emplacement qu'il a commencé de noircir avec l'écriture du flamboiement de joie des hirondelles qu'il a cru recueillir — ou qu'il a recueilli à sa manière sous forme de graphite poussiéreux — le crayon s'apprête, de son même charbonnement, à poser le trait de lumière de la guêpe envolée, comme une sorte de souvenir triste, sinon lugubre, promis à cette cendre que la rivière emportera en riant, en pleurant, en courant ou traînant paresseuse. Le crayon que rien ne sépare du cerveau qui l'inspire, lui-même irrigué du même sang que la rivière et le ciel, tous unis dans le partage infime et gigantesque de leurs conversations.
En exergue, une peinture d’Édouard Vuillard
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