Les premiers jours il ne se montre pas. Il reste tapis dans son trou. À peine s'il respire, si l'on peut deviner sa présence tant il s'est mis en retrait. Il fait son rat, il attend.
Il a peur des deux messieurs. Mais il reste tout près pour prendre de leur force, dont il a besoin. Il se hisse sur le tabouret vide, il met ses doigts sur le clavier, il branche les écouteurs, c'est un piano numérique, il ne veut pas faire de bruit.
Sa tête aussi est resserrée sur elle-même, sur les notes, sur la mesure. Mais il ne regarde pas la partition posée sur le pupitre, seulement la portion qu'il en a en tête. Ses doigts ne se déploient pas, usent de mécanique. Il est tout ramassé à l'intérieur. Son corps pour se détendre est tenté d'imiter des photographies très connues d'un pianiste courbé, tassé, la tête frôlant le clavier mais le musicien marche sur un horizon de musique, si loin, si loin au bout du chemin sur lequel le rat ne sait pas encore poser la première patte.
Il resserre son manteau sur lui. Il fait ce geste de monsieur Vannereau, le chef de l'harmonie municipale, le vagabond. Il devine ses pas furtifs qui rasent les murs pour passer par la cour de derrière et avant même de frapper au carreau il est entendu et vu, on lui donne la monnaie ou bien les enfants vont lui acheter à la pharmacie le sirop des Vosges Cazé.
Tapotant les touches avec plus de vigueur il arrive à faire sa phrase, à la répéter. Il débranche le casque. Ça ne ressemble à rien pourtant, cette bouillie de rat, c'est fade, c'est insipide. Il descend du tabouret. Il se sent tomber silencieusement sur le tapis, cherchant à voir ses petites pattes et sa longue queue qui suit derrière. Il ne sait plus où se mettre. Il va descendre dans les rues, trotter incognito, jusqu'à la rivière, jusqu'au grand dépotoir de monsieur Nuit, où tout peut resservir.
En exergue, Personnage, lithographie de Bengt Lindström
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