Avec mes deux compères cahotant bras dessus bras dessous, nos têtes renfrognées, notre humeur chancelante, en appui l'un sur l'autre, ânonnant quelque syllabe inaudible, quelque râle assourdi, cherchant un âne pour nous accompagner, un âne aux yeux clairs qui reflète le ciel où nous accrocher, nous trois ensemble sur mes deux pattes et leurs deux bras.
Cornes au front c'est une chèvre qui se pointe, qui veut jouer la valse. Apprends-moi apprends-moi lui dis-je à jouer du sabot. Bê sortiras-tu le mot le premier mot ? Après tant de discours oublié qu'il est frais le matin. Descendons, l'âne, la chèvre, monsieur Nuit, monsieur Temps et moi, descendons l'escalier du cabanon, partageons tes obsessions, la chèvre, tes coups de menton, ton braiment, l'âne, jette-le-nous dans le dents. Que restent les mots de ma langue au fond du seau de monsieur Nuit qui les remue, les garde au frais, au chaud. Partons nous quatre, ce matin allons faire notre tour, du monde, du quartier.
Après quelques gammes laborieuses nous sommes en train pour nous lancer, descendre l'escalier sur le dos d'un troupeau de moutons encadrés par l'âne et la chèvre.
Dans la rue je les perds, moutons, âne, chèvre, mes deux spectres tutélaires côte à côte se laissent porter à mon pas, sur le trottoir, un parmi d'autres et finissant par presque m'oublier moi-même dans la présence de la ville en scène où croisent tant de personnages dans leur rôle du moment, dans leurs costumes idéalement appropriés, leurs entrées et sorties parfaitement réglées. Ville musique au cœur de l'orchestre où je suis écoutant maintenant assis immobile le temps requis par ma partition, profitant du monde.
En exergue, Karel Appel, Sans titre, Adagp, 2015
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