Monsieur Nuit balaie le sol de la cage. Il y a des petits bouts de cadavres de feuilles mortes partout autour de lui. Monsieur Temps n'y est pas.
Sur le rosier voisin un bouquet de roses rouges s'offre comme autant de paumes ouvertes, cinq ou six, pommées, juponnant de dentelle serrée qu'on imagine fraîche et parfumée, d'un rouge pourpre écarlate ou garance fusionnant en fils de crête bleus, lourdes et ne pesant rien dans la main écartée du rosier qui les porte.
Une femme passe, elle a deux tout petits chiens au bout de longues fines laisses qui suivent leur chemin en souplesse. Elle est jeune et large de corps couleur café doré presque abricot sortant du vêtement court d'été qui le laisse s'épanouir en rondes épaules, vaste dos, amples bras et cuisses.
Monsieur Nuit s'est emparé des mots les plus noirs et crasseux qui surabondent ici parmi les rondes des policiers en voiture qui parfois descendent, hommes et femmes aux uniformes imposants, se jettent sur un vagabond, lui tiraillent les membres tandis qu'il crie de douleur, le maintiennent de leur pied lourdement chaussé, le menottent et l'introduisent comme ils peuvent dans leur voiture en disant à l'adresse de la radio de bord : interpellation.
Monsieur Nuit a peut-être fait comme cela leur arrive une partie de poker bavard avec monsieur Temps. À présent, les restes balayés des langues, repoussés hors de la cage, s'écoulent à nouveau dans l'ordre des choses, à leur place dans la pensée et les histoires de chacun. Pour longtemps encore la petite mécanique protectrice sera pourvoyeuse d'idées, de sensations, d'épidermiques réactions, d'allergies, si ce n'est d'épidémies. Monsieur Nuit y met son coup de balai, il y ajoute son fluide soporifique, qui peut parfois se révéler miraculeux.
En exergue, Maurice Denis, Les arbres verts, 1893
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