Ils ont maintenant le champ libre. Ils laissent traîner tous les deux leur chapeau à la maison, dans une case de bibliothèque le chapeau de paille paysan de monsieur Nuit avec son liseré et son galon bleu, sur une étagère celui de monsieur Temps, un Borsalino, une petite fleur cousue sur le devant. Ils sont passés par ici, on voit qu'ils sont chez eux.
Par la fenêtre de la cuisine, où ni rideaux ni volets ne sont tirés, on voit la nuit étoilée.
Le héros dont ils ont hérité, ou plutôt accouché — car il se retrouve comme jeté entre leurs pattes, sur leur terrain de jeu (le livre, qui n'est pas un livre) — ne leur ressemble guère, ne leur ressemble pas. Il est hésitant en tout, timoré, maladroit, se reprenant sans cesse avant de mettre une phrase debout, bégayant, la lâchant dans le vide avant de la rattraper parfois, la recracher comme fait un petit corbeau craintif hors du nid. Ils le regardent faire sans intervenir, confiants mais lui (le héros), fraîchement éclos, ne le voit guère, mais lui ne le voit pas. Pourtant par à-coups il avance, il articule, il écrit l'histoire, il bâtit la maison qui n'est pas une maison, tout juste une cocotte en papier, qu'il laisse flotter, sous la nuit étoilée.
En exergue, Matisse, Polynésie, le ciel, 1946
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