Sans titre


 

 Parce que je n'ai rien à faire sur l'autre rive et que je n'attends rien non plus, que rien ne m'appelle particulièrement, à cause de cette inopérance des circonstances, justement, je me dirige vers la rivière. Elle coule, large, rapide, énorme et silencieuse, je viens être à ma place l'entendre ne rien me dire, la voir ne rien me montrer, de plus en plus en accord, en intelligence avec elle. Le cheminement, l'interrogation, la quête touchent à leur but, le temps long d'une vie tient ses promesses ou peu s'en faut, le dialogue est établi, sans paroles, sans images, nous sommes l'un et l'autre dans le secret, presque entièrement partagé. Nos langues se sont presque rejointes. Son dire tout ce qui est tu, tout l'invisible rendu visible, le fixé rendu au mouvement, le bruyant rendu silence. L'immense épouse le minuscule et le sens le non-sens. Le vent souffle et la feuille remue : c'est elle et moi. Le vent cesse et je m'immobilise, ou nous dansons à nouveau. Le crayon court sur le papier, la pensée laisse une trace, la trace va se transformant.

Wifredo Lam, Untitled, 1939

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