Depuis qu'il n'est plus mon professeur de piano, monsieur Temps est plus distant. Je le guette du coin de l’œil. Ou plus exactement, je me l'évoque. Dans son costume gris, et ce que je nomme son élégance — comme élevé, comme danse. Si les dieux existaient il serait l'un d'eux.
En tant qu'humain il est attentif et posé. Judicieux, toujours aidant (pas comme une personne aidante, mais comme dans la formule "aide-toi, le ciel t'aidera", le ciel). Il ne met pas d'affect dans son geste. Il n'oblige pas. Il ne fait rien peser sur l'autre.
Si mes pas m'ont ramené sous ces mêmes jeunes érables, c'est un autre jour, un air différent, un espace nouveau. L'espace est toujours nouveau. C'est le seul, il remplace tout autre avant lui. Les choses fortes — si elles n'ont pas changé — ont d'autres aspects : le monument aux morts qui m'apparaît, dans ses détails, plus pauvre encore, plus fruste — que peut-il rester de la guerre ? Au-dessus, les arbres sont moins hauts, plus proches, ils n'ont pas cette dimension presque héroïque que je leur voyais.
Monsieur Temps est partout dans cette clarté, dans cette étendue nouvelle qui semble sans limites, libre de toute emprise préférentielle, de hiérarchie et d'exclusion. Monsieur Temps est non-violent. Réceptif. Là est sa tendresse.
Des pigeons dans une bouffée de vent léger viennent s'abattre devant mes pieds comme des tissus blancs. La corneille passe, picore et s'envole brièvement, toujours un peu de côté, un peu inquiète. L'affect n'est pas nécessaire au regard. Il est dans la chose vue, dans les gens qui prennent leur repas de midi sur les bancs, qui téléphonent. Dans les lointains, les absents. Dans la beauté de l'insecte s'enfouissant dans la fleur. Les pigeons reviennent en petite troupe, d'un même pas, se suivant dans un élan mimétique, soutenu, encolures violettes, petites boules irisées, précipitées.
Puis c'est un corps féminin qui s'avance, qui me croise, qui traverse le livre.
En exergue, une peinture de Raoul Dufy

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