Un quatuor


 

Je les ai fait travailler ensemble, monsieur Temps et monsieur Nuit. Ils ont été formidables ! On aurait dit que c'était juste ce qu'ils attendaient de mieux !
Nous avons jardiné. Bien sûr, c'est moi qui ai mis les mains à la terre. Eux ne se mouillent pas : je les ai bien intégrés, ils tiennent à l'intérieur de mon corps. Ils tiennent les commandes, le tempo, la précision, le sens de tout cela. Je me rappelle Maria Joao Pires qui disait à peu près ceci : ce n'est pas nécessaire de rester des heures et des heures au piano, le plus gros du travail se fait dans la tête.
Le soleil est plus goûteux.
Ma vision est plus précise pour déceler l'état de fraîcheur ou de stress des minuscules pousses vertes, mes mains se dirigent vers le bon endroit, la prise efficace de l'outil, je sais attendre sans intervenir pour laisser la plante prendre le temps de se redresser avec la fraîcheur. Je m'entends dialoguer avec le soleil dans une langue que je ne connaissais pas concernant la couleur de l'ombre ou le parfum du fruit, et mon corps perçoit de l'espace des nuances de stimulation ou d'apaisement qu'il sait prendre immédiatement à bon escient.
Plus tard c'est avec cet espace, ce soleil, cette plante que mon étude avance sur la piano, que mes phrases s'écrivent sur le papier et que je marche dans la rue.
L'aisance des oiseaux qui se partagent le ciel ce soir — les hirondelles au gracieux froufrou, les martinets véloces et les choucas qui pour une fois se lancent à imiter les deux autres danseurs — nous donne à partager un égal bonheur en trio, monsieur Temps, monsieur Nuit et moi. Mais de toute évidence voici le Soleil baissant qui nous fait un clin d'oeil et s'invite, disant qu'avec lui, nous sommes déjà un quatuor.
Je ne me suis pas longtemps posé les questions métaphysiques ni les questions stratégiques que j'avais entrevues à l'arrivée de mes amis si particuliers, monsieur Temps et monsieur Nuit, devenus si intimes et si quotidiens.

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