Réglisse de la matière


 

Monsieur Nuit était en train de jardiner au fond de la rivière. C'est là que je l'ai pris. Je connais ses coins. Comme d'autres connaissent des coins à champignons, je sais où j'ai des chances de tomber sur monsieur Nuit. Je l'ai senti à l'odeur. La vase noire, bien puante. Je grogne à son intention :
— Il me faut de la matière pour mon livre.
Je regrette presque d'avoir grogné. Je comprends qu'il va me dire : c'est pas ce qui manque. Il me suffit de voir la tête qu'il fait, bien grasse, bien sombre. Il me marmonne encore quelque chose, et mon cœur se serre à le deviner.
C'est quoi, un livre ? voilà ce qu'il dit. À mon tour de ruminer la question. Elle a un relent doux-amer, pas désagréable, une réglisse... Un cocon, un nid, une cabane, dans les branchages, une maison. Ce n'est qu'une maison, en carton, un cocon ballotté dans le courant, accroché aux vieilles branches, un chiffon de monsieur Nuit. On fait ça avec sa vase, avec sa fibre molle, son fil de chair, avec sa pisse, avec sa m., pour rester poli, sa bouffe, sa peur. Qui c'est, ce monsieur Nuit, pour avoir toute la matière de nos peurs ? pour en faire le noir de la réglisse, le noir de l'encre, des mots de l'imprimerie... de l'imprimerie à la blancheur de l'aube.

Une peinture d'Olivier Debré

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