Même là monsieur Nuit s'étale en maître. Il déballe tout son trésor. Monsieur Nuit fait sécher au soleil toute sa lessive. Toutes les fringues, les nippes, les hardes dont aime se revêtir Jacques pour ressembler à quelqu'un, pour être quelqu'un, sont là, finalement, dans ce grand champ au-dessus de l'arc-en-ciel. Il y a tout absolument. C'est l'atelier rêvé pour travailler, enfin. Là, il n'y a rien d'autre à faire. Là, les outils, les formes, les mots, les langues, les fables, les histoires, les vies même, s'offrent à perte de vue, je peux prendre la flûte pour chanter, pour appeler les troupeaux, faire dos rond avec eux sous l'orage. Ici toute matière à penser se fait voir, sous forme de mosaïque à assembler, de tableaux à peindre, d'histoires à raconter, de mondes à créer. Ici est l'esthétique, l'art, le lieu de beauté. J'y suis invité. Et j'en connais le chemin.
Mais je veux redescendre. Pour un autre travail, pour apprendre autre chose encore, ce que je n'ai jamais su : être un homme, non pas un dieu. Un homme parmi les hommes et faire travail commun, contre la guerre qui nous infeste et nous séduit, à laquelle je n'ai jamais cru mais qui a toujours eu raison de mon imagination. Il me faut descendre de là et j'ai un fil, comme l'araignée, une arme, une seule, que je saurai peut-être nouer à ses semblables, si je peux les trouver.
Azur roule contre mon dos et je me laisse basculer dans son mouvement, il s'étire et glisse le long de mes épaules qui s'enroulent autour de lui. Indigo nous ouvre une aile où nous prenons appui dans l'étirement du thorax puis prenons l'envol dans deux directions différentes, Azur et Indigo vers la jambe et le flanc de Rosée, tandis que je plane soutenu par Émeraude gonflant sa poussée et le Vert de jade me laisse poursuivre mon élan dans le Jaune. Nous faisons la place au Soleil qui s'est glissé au centre de nous et nous a éloignés tous, à petits pas regagnant la terre ferme.
Me faisant alors lecteur, sautillant le long d'une ligne imprimée sur le livre nouvellement réouvert, empreintes de leurs pieds nus en forme de guitare molle allongée étranglée en son milieu couronnée par les marques des cinq orteils.
Pointillé bleu turquoise s'étageant sur le cou du pigeon assis en face de moi juste au bord du sol dallé derrière la limite de l'herbe qui s'étend entre nous, posant là comme au bord d'une piscine. Ces pigeonnes, en manteau somptueusement armorié gris clair sur gris foncé les motifs en forme de touches de pinceau d'écailles ou de vagues pointes de flèches semés en libre désordre hautement décoratif, volontiers assises comme des canards ou quand elles se proposent au mâle, tranquilles et comme indifférentes lorsqu'elles marchent et qu'elles les laissent parader autour d'elles, ressemblent lorsqu'elles arrivent ailes très écartées, leur planeur au grand ralenti, à des anges véhiculés surgis dans l'instant d'un clair paradis. Puis, posées, s'engoncent aussitôt dans leur manteau de cour tout miroitant de rubis, passementeries et émeraudes.
En exergue, peinture de Pamela Burns, 2023
En citation : un fragment de phrase de Claude Simon
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