Où habiter ?


Celui qui ne veut pas se battre doit se planquer.
Ernest s'est planqué dans un livre. Il y a les mots, les paroles, les discours, il y a même les idées, dans lesquelles on peut se planquer, ce qui n'empêche pas de se mettre derrière les choses et derrière les gens, de les pousser en première ligne ou même de leur réserver en tout la mauvaise part, séparer le bien du mal, mais est-ce possible ?

Corrine est une guerrière. C'est ce qu'elle dit. Peut-être pour se le prouver. Peut-être parce que c'est vrai. Guerrière de l'amour, a-t-elle ajouté.
Et puis elle s'est éclipsée. Tout en étant là, elle est devenue comme invisible. Inaudible. Corrine est dans un livre, peut-être faut-il l'admettre. Elle aurait rejoint Ernest ou serait dans son propre livre. Faut-il entrer définitivement dans un livre, pour être tranquille, comme le pense Ernest ? Ou nous faut-il chevaucher des mondes différents ? le piano, l'écriture, la lecture, l'espace terrestre, l'autre, les autres, le temps qui se resserre (parfois une année s'est écoulée la veille).
Ce que j'ai rêvé aussi est étrange : Je traverse l'âme de mon fils pendant qu'il vient visiter la mienne.
C'est un père en proie à ses propres pères, roulé dans son châle rituel agité de phylactères, se lamentant.
Je prends le suc de cette phrase, me secoue de ses spasmes. Puis je remets une pièce dans le bastringue, mon corps comme le bras du juke-box, et un morceau de jazz des années trente. Mais ce n'est qu'une parenthèse. Pour finir je m'envole en corbeau, il y a la lune qui me rejoint. J'ai pris de la hauteur, je me suis extrait de ces phrases non sans mal. Je prends les limites du livre — que ne suis-je musicien, ou peintre. Pour échapper aux mots. Pourtant je les suis aussi (musicien et peintre) — même sans talent, je peux y mettre la main et surtout je peux voir et entendre les chefs-d’œuvre. Ils s'offrent à moi, ils s'éclairent de beauté neuve. La joie revient. Revient toujours. Plus belle.

Avec Dario nous avons regardé les hirondelles sur la rivière. Elles nous ont fait place dans la lumière, au ras de l'eau, au bleu de leurs ailes noires, au doux de leur ventre blanc, à l'éclaboussure du soleil, aux voltes longues sous l'ombre des nuages, à leurs glissades rasantes. Elles nous ont offert leur génie. 

En exergue, Marc Chagall

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