J'ai trouvé Dario qui marchait courbé sous une pluie fine, mal protégé par un imperméable rouge détrempé dont la capuche rendait son visage invisible. Je l'ai reconnu à sa corpulence et à sa façon de marcher en pesant peu sur la terre, comme un oiseau — un choucas, toujours un peu en suspens, à la différence des corneilles ou des freux, qui sont plus lourds. On ne s'est pas parlé tout de suite, simplement salués d'une petite bourrade de l'épaule, et je l'ai invité à me suivre sous mon parapluie. Il n'a pas voulu. Alors, plutôt que de rentrer chez moi (nous en étions tout près mais il l'ignorait), je me suis écarté un peu afin que le parapluie ne se déverse pas sur lui, et je l'ai suivi. Nous avons marché, lui courbé, saccadé, moi déployé et souple, sans nous parler.
Il était peut-être dans la terre, s'ouvrant à l'eau libératrice, dans la nage des racines ou déjà dans les feuilles en libation, tapotis, glissandi, sa pensée, je le voyais à sa démarche, était dans la couleur gris-noire de la patience, partageant le calme du cheval qui l'accompagne toujours.
Dans quelle musique étions-nous tous deux ? Les notes répétées de la pluie s'écrasaient en crépitant sur son dos et sur mon parapluie. En dessous, plus sourdement, des mélodies circulaient, discursives et divergentes, s'enfonçant, disparaissant ou surgissant, bois ou cuivres, flûtes, violoncelles, des flots d'ombre, des instants de silence. Tout cela mêlé et partagé, et la cascade lumineuse des petits crapauds jouant leur carillon. Il n'y en a plus, plus un seul, m'avait appris Dario récemment, de ces minuscules crapauds de terre qui pullulaient il y a encore quelques années. Pas plus que des limaces énormes, les rouges et les brunes, on n'en trouve plus que quelques grises de taille moyenne, parfois. Pratiquement pas d'oiseaux, non plus. Sinon le coucou, obstiné. Je me rappelle les incursions des rouges-queues sur la terrasse, les courses-poursuites des martinets, leurs cris de joie à chaque tour comme sur les manèges des fêtes foraines. Nous faisons silence, Dario et moi, pour percevoir nos dissonances et nos accords.
Avec Dario, nous avons en commun des savoirs oubliés et des mondes disparus. C'est d'avoir été enfants dans les mêmes lieux, même à des moments différents — enfants, adolescents, jeunes adultes, frères, voisins, camarades, sans liens profonds mais sous éducation et dans des expériences comparables, comme portés par une même mer qui vous éloigne et vous rapproche au gré des houles et des vents. Mais nous pouvions parler — et nous taisions surtout.
Ainsi Dario se retrouve-t-il, à son insu, entre mes lignes les éclairant, nos vieilles silhouettes se heurtent-elles sous la pluie, dans les cahots de nos routes, se prêtant l'oreille et le pas.
En exergue, Jane Ansell, Nestling, Oil on wood, 18x15 cm
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