Ernest au long cours


 

 Je parviens facilement jusqu'à lui, par le rêve, sans même le vouloir, car il a, au fond, fait sa place en moi comme il a fait sa place à l'intérieur de la chaîne noire de ses signes typographiques. Je suis une de ses annexes, une chambre de bonne comme il en a partout en ville, dès lors qu'on l'a reçu une fois, lui ouvrant son corps, son âme, son lit, sa tête, ses mains, sa place est faite.
Il est dans un coin comme un lézard minuscule et sans poids, éteint, en hibernation.
— Ernest, lui dis-je tout doucement sans même émettre un son.
— Je suis là, me répond une voix très profonde que je ne lui connaissais pas. Elle émet une onde brumeuse, s'éclairant, s'élargissant, une tourterelle vient planer sous mes yeux lentement, avec sa poitrine lisse, duveteuse, des ciels se partagent, des volées de martinets plongent dans l'azur en fuite, je perçois les messages d'Ernest dans chaque oiseau portant une invisible valise ou une chemise repassée par lui-même, tissée par une compagne. Ernest n'est plus en quête du langage mais il le pourvoit comme un voyageur de commerce au long cours, partout il laisse les messages de sa vie.

En exergue, Chagall, Le Père, 1911

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