Pour réparer


 

Je l'ai dit un allié, un frère, je l'ai vu dans les branches, dans la peau des nuages, sur l'horizon, modeste et créateur, je l'ai connu donnant la main, me conseillant sans un mot, par sa seule présence, de très près je l'ai senti, tranquillisant ma respiration, mes gestes, éclairant mes idées, il a même fait grandir en moi un autre qui le continuerait... un autre moi-même qui enjambe déjà l'escalier, va marcher et poursuivre son chemin.

Il m'est venue l'idée d'envoyer monsieur Temps aider à réparer le mal des guerres, sinon les corps, peut-être les esprits, déchirés, bloqués et pilonnés dans la souffrance, privés de l'aube nouvelle de chaque jour, de la lumière nouvelle de chaque instant, trahis par l'horloge qui s'est mise à tourner à l'envers, dévorés par des rats invisibles. Ce serait là la place de monsieur Temps qui possède ce don de retrouver les sources.
Je marche, je suis enfant de monsieur Temps, un de ses enfants trouvés, une de ses sources. Je marche et j'écoute ce que j'ai à me dire, qu'il m'a laissé cette place d'enfant et que je ne saurais rien dire de lui, de ce qu'il fait ou ne fait pas, à présent. Je marche, comme coule la rivière, comme une petite rivière moi-même, pleine de ce qui m'habite, reflétant ce qui m'entoure, et suivant mon cours.

Pip pip pip entonne une mésange dans l'arbre tout près de mon oreille, pip pip enchaîne-t-elle d'une voix de cristal, décuplée, dans l'air tiède et ivre de fleurs qui me coiffe les joues. Le manège amoureux d'un couple de pigeons devant moi cloche et piétine, balaie le sol et rebrousse plumes... Plus est à voir et à entendre dehors autour de moi que dans les lignes que j'écris. Monsieur Temps — le petit — ne bouge pas. Il reste dans mon giron. Il n'est qu'une création discrète et invisible, encore incapable de franchir la distance de deux mètres comme le fait la balustrade cassée qui parvient jusqu'à mon regard avec un œil comique de crocodile et un menton dubitatif appuyé sur la queue écharpée de son voisin.
Il y a des bancs de bois immenses dans ce parc, quelques-uns occupés à cette heure du dimanche après-midi par des groupes chacun de huit hommes environ, costauds, rieurs, aux peaux sombres, aux barbes courtes et cheveux noirs soignés, vêtus sport, élégant, sombre ou noir, quelques enfants avec eux. Passe un groupe de femmes qui rient et s'exclament, amples de gestes, de corps et de vêtements et bien d'autres promeneurs de tous âges et toutes sociétés, jour de paix, monde de bonheur apparent, de celui, dit-on, qui n'a rien à raconter mais tout au contraire qui dit à profusion, qui chante, qui montre, qui explose de vies.

Un texte écrit comme une tapisserie, pour réparer. Dédié à Marie, et à tous les artistes artisans.

En exergue, une tapisserie de Pierre Boncompain

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