Métamorphose du récit


Un merle chante. C'est lui qui réveille Ernest ce matin. Il a dormi dehors. Il a discrètement abandonné son vestiaire de fourmis noires en habits dans les pages du livre et il est parti chez Corrine. C'est la saison de l'amour, lui chante-t-elle, profitons-en ! Ils sont sortis danser, ils sont rentrés danser.
Ce qu'ils tressent ensemble c'est bien plus que leurs peaux aux caresses d'or et d'ambre, que les fluides bleus, miel et réglisse de leurs ventres et de leurs bouches, c'est bien plus encore que leurs frissons et leurs langueurs, c'est aussi le récit profond de leurs vies qui se parlent, qui se laissent lire et entendre dans sa lente gestation, sa sublime métamorphose. 

Ce matin elle fait le ménage. Ernest est encore là — sous quelle forme, elle ne le sait pas bien. C'est pourquoi elle a cette attention soigneuse envers cet intérieur qu'elle époussette, qu'elle caresse en passant délicatement le balai sur le sol, pleine de respect pour quelque chose... une âme, une présence qui est restée, qu'elle ne doit pas dissiper, ni effaroucher... est-ce sa démarche, sa façon de se poser, de se mouvoir dans l'air, le son de sa voix, la chaleur, est-ce la conversation, cet invisible rayonnement, cet air de printemps... Le ménage, c'est faire la place de ce qui viendra. De ce qui vient déjà. Des oiseaux par la fenêtre du jardin... ou par celle de la cour intérieure, celle de la mémoire, d'une idée qui pétille.

Lithographie de Constant, 1968

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