Le corps


Le corps a demandé sa place. Comme un enfant désemparé qui trépigne.
Le corps se met à décider. Après tout, il n'y a rien d'autre à faire. Oui parce que le corps est tout ce qu'il a et décider est tout ce qu'il peut faire.
Jusqu'alors il n'a pas cessé de se fuir — c'est tout ce qu'il avait trouvé — c'était la seule façon d'échapper à lui-même. C'étaient des issues, des secours, des voies de sorties, des choses possibles, des choses permises. Tout le monde trouvait des manières de s'en sortir. Sauf les fous. Ils ne trouvaient pas. Ils s'entêtaient, ils restaient eux-mêmes, désemparés. Ils ne savaient pas être quelqu'un. Quelqu'un défini par les autres qui font cercle autour de toi et attendent que tu entres dans leur définition comme le rat traqué doit choisir une case et y entrer. Mais il ne sait pas. Son désir est la liberté.

Le corps s'est enfui tout entier. Et là, sans plus rien à mettre à la place de lui-même, il est comme dégonflé. Un simple corps réduit à toutes ses fonctions, quelque chose en train de s'épanouir, de libérer la machine, l'organisme, comme une châtaigne ou un marron va se mettre à devenir ce marronnier que je vois là, déjà bien vert qui semble vouloir mettre ses premières fleurs.
Combien pauvre était la condition d'avant, celle de fugitif, celle de rat expert en planque et en prédation pour se remplir le vide qu'on s'est creusé en plein ventre. Peut-être un bon système pour le rat. Peut-être est-il un corps bien adapté à ce fonctionnement dans la chaîne du vivant.
Mais regarde l'enfant. Comme il crie. Comme il demande bien au-delà de la nourriture, épanouissement, place pour ce corps compliqué, exigeant de toutes sortes de désirs que le rat, ses parents, son entourage, ne savent voir. tu sera un rat, mon enfant ! disent-ils tous en chœur... mon petit rat, mon choux, mon lapin.

Peinture de Wifredo Lam

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