Un enfant de cinq ans pourrait le faire


 

Monsieur Temps s'est retiré discrètement et ne s'est plus montré. Je m'évoquais encore parfois sa silhouette élégante dans son costume gris, son tact et sa souplesse pour accompagner la régularité, la précision, l'à-propos des gestes, mais je savais qu'il ne reviendrait plus sous cette forme, qu'il m'avait fait sentir sa présence en moi avec une définitive évidence. L'apprentissage du piano, mais aussi ceux de l'écriture, de la lecture, de la danse, de la marche, de l'écoute, du regard, tous ces apprentissages qui enjouaient ma vie pouvaient continuer de concert avec lui.
Sans avoir à le personnifier je pouvais repérer son rôle dans une musique, dans un paysage, dans une conversation, dans les gestes d'une relation. Il n'était plus un personnage, loin de là, il était l'allant, le venant, le naissant et le mourant de toute chose. Je pensais à Matisse traçant une ligne.
Monsieur Temps m'investissait dans la grande liberté de jeu.
Je reconnaissais ce plein pouvoir du jeu qu'a l'enfant de cinq ans au plus beau de son âge, quand il pourrait prendre les nuages en croupe et les chevaucher tel Phœbus en son char.

Constant Anton Nieuwenhuys, 1968

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