Le Temps



Monsieur Nuit patiente depuis des jours. Il ne se manifeste pas. Comme l'eau qui dort. Je l'entends pourtant remuer très loin dans son silence.
Avec monsieur Temps nous avons un corps à corps. Il s'est tellement rapproché qu'au moment de me lever du tabouret il me dispute le geste, comme s'emparant de mes muscles pour imposer sa vigueur et bondir à ma place, devançant mon besoin impérieux de sortir comme si c'était le sien. En une fraction de seconde nous sommes parfaitement en phase. Je suis le Temps. Je le partage avec les platanes de l'avenue, très aériens, qui déploient au ciel la dentelle de leurs branches clinquantes de boules à foison comme un noël printanier. Le ciel est bleu, il y a une foule de gens comme moi dans le même instant de bonheur. Vu d'ici.
Le chant d'un oiseau me salue de loin. En parfaite intelligence de la situation. Je me rappelle celui de Prévert, "quartier libre", annonçait le titre. Le képi dans la cage lui aussi était à la bonne place pour s'exprimer au mieux : ceci n'est pas un oiseau, aurait pu sous-titrer Magritte.
Cette avenue sur laquelle je marche allègrement est assurément un champ de Mars. On peut y mettre des régiments. Elle est d'ailleurs toujours bordée d'anciennes casernes qui ont changé de destination, quelquefois d'architecture, pas toujours, les bâtiments étaient beaux ! D'aucuns rêvent encore de grandes parades nationales, de rassemblements, de fêtes sportives, de chasse et de nature.
Le vieux pigeon qui se traîne à mes pieds comme un mendiant s'écarte à peine pour me laisser passer. Il est chez lui, nous partageons le même trottoir, nous mangeons les mêmes bouts de pain.

Peinture de Raoul Dufy



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