C'est curieux comme vous créez le corps...
Je vous vois dans la forge de Vulcain, vous et vos camarades, Nuit, Peur, Chance, Paresse (le compagnon de monsieur Peur), vous devez avoir chacun votre rôle, aussi bien qu'Héphaïstos en compagnie d'Aphrodite ou peut-être Hadès, Prométhée et Athéna, Perséphone, une femme était là, c'est certain, Déméter, ou la Terre elle-même Gê, ou Gaïa, la mère en tous cas, la fille car c'est elle, la femme, qui est née la première de l'argile et de l'eau. Qui était là ? Vous y êtes arrivés un jour, monsieur Nuit, vous aviez les mots dans votre sac, que vous avez vidé pêle-mêle, et vous monsieur Temps, vous êtes rené, encore une fois, dites-moi. Mais vous vous moquez des souvenirs... Vous avez une femme aussi, je crois. Un jour vous l'avez mise dans les mains du peintre Manet, rêveuse, elle s'est laissé emporter, elle vous a rejoint, toute barbouillée de rose et blanc, de vert léger et de noir de café.
Vous êtes un homme de goût, de tant de goûts et de couleurs et je ne suis pas peu fier d'être votre élève.
Monsieur Nuit donne la parole, vous le corps, il y a Chance qui fait beaucoup, il crée les rencontres, si importantes, ces changements de décor, changement de tableaux, changement d'acte, l'univers qui bascule, voilà la danse ! un nouvel équilibre, un regard nouveau, en pleine rue quand je marche, Chance me crée la danse. Vous êtes une belle bande de travailleurs. Le travail, si j'avais su que ça se passait chez vous, que ça n'était pas à moi de tout prendre sur mes épaules, que je devais donner tout mon corps à votre travail, à vos mains distantes expertes en œuvres d'artifice. Je vois bien, pendant que je piochais sur le piano tout à l'heure, quand je pouvais répéter inlassablement ces doigtés, en entendant de mieux en mieux, voyant les notes prendre corps et mouvement, un travail se faisait sans que j'en éprouve de fatigue, de plus en plus léger, de plus en plus facile et exaltant.

Édouard Manet, Le repos, portrait de Berthe Morisot

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