Ce matin j'aurais pu passer sans la voir.
Discrète, elle montre son dos. Elle est couchée sur le ventre tous ses dos étalés rendant la lumière, offrant son bleu, son vert, son jaune de chaque côté du pont. Je marche délicatement au-dessus de ses écailles ouvertes, ses larges plaies baignées de douceur crue, ses tendres éclats, ses ombres froides, protégé par le pont.
Sa solidité, sa poutre horizontale, sa pierre frontière me permet de la franchir, me sépare de son étrangeté, me garde de sa monstrueuse fascination. Le flot des piétons, automobiles, carlingues, roues et pédales, autant de petites armures crapahutent à travers le passage comme des trains d'insectes. Quelque poète de temps en temps se prête à sa rêverie hallucinatoire, la peint dans sa tête, la roule dans sa musique. Tous et chacun vers sa soif d'activité, sa soif de sensations, sa soif de connaissance et d'oubli, la traversent.
Elle, offre le dos, comme un flot stellaire de tous ces désirs, de toutes ces hantises, apaisé, lointain, tandis que son ventre engouffre l'inconnu en attente, le mêle à son insondable histoire.
L'autre rive accueille le pas de l'homme qui marche, allégé et appesanti, Schubert, Giacometti, femme plutôt qu'homme, transgenre ou plutôt queer et plus encore, allant vers son autre, son ailleurs.
Peinture d'Olivier Debré
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