Une visite


"Tu vois que suivre le temps c'est juste le devancer" me dit monsieur Temps pour m'encourager, voyant que je progresse sur le piano.
"Tu verras que c'est toi qui crée le temps, tu es comme le feu, feu toujours vivant, derrière c'est le poids mort, ne te laisse pas devancer, regarde l'enfant qui joue.
Tu comprends, maintenant ? Ce qui meurt de toi, derrière, ne t'en préoccupe pas, cela suit son cycle, comme le printemps dans la feuille, l'eau dans l'argile, jusqu'à l'air bleu et la brillante flamme du soleil. Tout cela en toi, et toi en tout. Comment être autre chose que ce tout. Ouvre tous tes bras, toutes tes nageoires de toutes les couleurs et tu seras le feu, le feu trompeur qui se cache en toute vie, en toute matière, qui est le fin pétale bleu du petit papillon aussi bien que l'eau. Car tout n'est qu'une seule et même création en cours et tu en es l'acteur aussi bien que tout ce qui existe autour de toi.
Toi, tu nommes, tu fais figure de tout, tu es à la surface, à la crête des flammes, comme une vapeur crépitante. Tu peux t'imaginer dragon, dévorant et nourrissant le monde."

Un pigeon escalade l'azur jusqu'au faîte de son élan et redescend en se laissant planer en un long pétale de candeur.
Un silence suspend tout dans l'instant, comme une pause sur la portée.

Raoul Dufy, Le concert orange, 1948

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