Monsieur Peur a des façons un peu sournoises d'attirer mon attention, et même de m'inviter à le suivre. Il reste dans l'ombre et il siffle, pour que je m'approche, par curiosité. Bien vite je me prends au jeu. Je ne suis pas rassuré du tout, quand je vois vers quelles zones dangereuses il m'entraîne, où il y a des trous d'ombre sur le côté du sentier, je finis par me retrouver sur le sommet d'une falaise. Il a grimpé ici et là sur des obstacles toujours plus attirants, qui dévoilent des niches de beauté dans la montagne, des loges, des caches, de vie animale, de sable, de bois, de parfums, à se rouler, à se terrer, à se couvrir de ciel. Alors on le suit, il ne se montre même pas, il initie la marche, comme le joueur de flûte et l'on est attiré, vers où l'on rêve. Et là, brutalement, on voit le danger, au sommet de la falaise, sur la pointe étroite.
Je rampe à reculons, sans vouloir – ni pouvoir vraiment – quitter l'endroit. Ici est ma place, d'une certaine manière, mais comment ?
Parmi les bêtes sauvages ?
En redescendant, finalement, je rencontre Monsieur Peur. Il a troqué son justaucorps noir pour un gris. Il ne se cache plus, je le vois bien à quelques mètres en contrebas, sur le chemin. Il n'est pas seul. Il est avec un autre, presque frère jumeau mais accoutré de jaune, de bleu, de plumes blanches et noires, une petite barbiche, il danse. L'autre est presque collé à lui. Ils bougent ensemble, nonchalamment, ne gardant bien souvent qu'un point de contact, pivotant, se tordant, s'attirant, se repoussant, décrivant à leurs deux corps des courbes, des arabesques.
Il me touche, ce faune, cet oiseleur, ce duo m'amuse et me console et quand ils disparaissent dans une poussière du chemin, je sais qu'ils m'ont donné un spectacle. Un curieux couple, monsieur Peur et l'autre monsieur, qui ne doit sûrement pas descendre en ville.

Peinture de Paul Cézanne

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