Journal de la rivière


Par habitude, par fidélité, par nécessité aussi, par un attachement profond et silencieux, je vais la voir.
Ce matin elle est différente, comme chaque jour, elle n'est jamais la même – de couleur, de lumière, de mouvement, de présence – c'est sa présence qui efface et remplace toutes les autres, toutes celles qui ont pu avoir lieu. Elle est large, d'une profondeur différente, d'un gris jaune différent, plat et luisant. Je lui dis bonjour.
Elle ne me répond pas. Nous nous saluons comme cela. Je ne lui dis pas vraiment bonjour non plus, je ne prononce pas le mot. Elle répond par un élan de présence qui me touche. Elle me traverse et demeure en moi. C'est sa manière à elle de saluer.
Lorsque nous rencontrons quelqu'un, sa trace reste en nous, plus ou moins profonde, plus ou moins durable, elle éveille plus ou moins d'émotions, de sentiments, de souvenirs ou d'attentes. Il y a place en nous pour elle, la rivière, comme pour elles et eux, les personnes que nous saluons, que nous rencontrons. Nous sommes nous aussi des sortes de courants, perméables, recevant, charriant, relâchant sentiments et sédiments, êtres vivants, humeurs, couleurs, lumières, secrets, trésors, et beaucoup d'inconnu, de découvertes à venir, d'obscurités à enfouir.

Abigail Stern, Chakri Blue Sky, 2012, Ink, ink marker, paint marker, crayon, mylar, Momi paper, Ethereal paper, Ogura lace paper, and Hanji on paper. 15 x 14 1/2 inches

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