Je le ressentais dans mon corps. Tout ce qui lui arrivait, je le ressentais. Toute la journée je le ressentais. Et la nuit je le souffrais, il remuait sans cesse, il m'occupait le corps, de la tête aux pieds. J'en avais les orteils tout rouges et brûlants. La poitrine trop étroite, les épaules douloureuses.
Bientôt l'envolée
Bientôt le concert
Je me réveille en plein concert.
C'est chaud, de part en part, les cuivres éclatants, le chef, au milieu, gesticule dans son petit costume noir, l'orchestre a tout envahi. Ma tête sonne les cloches. L'été est entré, tout entier, solaire, épanoui, bourdonnant, les ailes déployées.
Il fait lever le jour. Bientôt il me fait lever, m'emmène à la douche, il reprend possession de moi.
Ou peut-être qu'il m'anime, tout simplement, qu'il donne cette dimension profonde, insondable, à tout ce que je fais, cette inquiétude... un désir de le faire sortir, de le libérer en plein jour sur le papier, clairement déroulé en une histoire explicite, un cinéma, un théâtre... et là je me heurte au manque d'outils, au manque de tout, à ma petitesse de fourmi. Mon crayon se met à courir dans tous les sens, j'essaie de le suivre, de me glisser en lui, à mon tour, d'entrer dans ce petit costume noir qui trace un chemin que je ne comprends pas, qu'il semble lui-même ignorer, s'arrêtant, se soulevant, repartant imprévisible comme une mécanique désorientée.
Cependant celui-là, j'en suis sûr, est un très proche compagnon.

Vais-je l'appeler Monsieur Peur, ce si petit bonhomme... ce rescapé sorti du repli, sorti du refus.

Dessin d'Alberto Giacometti, “Portrait de Diego,” 1958, crayon (24 x 20 cm). Collection privée

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