J'ai jeté le journal à la rivière. Cette fois sans regret. Sans l'ombre d'une angoisse. Jeté le bébé avec l'eau du bain, le papier et le crayon, ce dialogue dans les limbes de soi est achevé. Je vole de mes propres ailes.
Je ne résumerai pas comment je suis devenu un oiseau. Ni ne dirai quelle sorte d'oiseau. Il suffit de regarder si l'on veut. Je ne vais pas très vite, ni très haut, ni très loin.
Tous les jours je comprends quelque chose de nouveau. Et le monde devient nouveau à chaque fois. Et le monde est chaque jour plus grand, plus simple, plus beau. À mes yeux. Le monde à mes yeux c'est le monde de mes yeux, le monde de mon cœur, de mon esprit, de mes sens.
Mais ce n'est pas le monde réel. Ce n'est pas le monde terrestre de la société des hommes, celui-là est de plus en plus complexe, de plus en plus insaisissable, de plus en plus cruel. Ce n'est pas un monde, c'est un espace invraisemblable.
Ce que je comprends maintenant c'est le sens de ces mots : physique et métaphysique. Je comprends que je vis sur ces deux tableaux. Et que, bien sûr, ils ne sont pas en continuité. C'est à moi de faire le pont entre les deux, comme on marche sur deux pierres pour traverser la rivière — ou plutôt la vie. Ou comme on court et comme on danse quand tout va bien. Mais peut-on s'arrêter sur l'un ou sur l'autre, de ces cailloux, peut-on cesser de marcher, ou de voler...
Karel Appel, 1950, MoMA

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