Elle donnait son bain au soleil tout rond et très brillant ! J'ai eu cette impression jubilatoire de les surprendre quand elle venait de jeter son enfant nu comme un ver, quoiqu'une boule de feu, au milieu de l'eau. Tout frais il éclaboussait de lumière l'espace tout autour. A peine si on pouvait le regarder un instant. Il rebondissait. Il me laissait, une fois passé le pont, cette impression de l'octobre frais matinal aspergé de soleil.
Plus tard, dans l'après-midi, j'y vais. J'ai besoin d'être lavé moi aussi par le soleil. De quoi ? Je ne sais pas... De la rivière peut-être, celle qui m'a investi depuis longtemps, me vieillit, m'endolorit les os. Me lave de la vie qui passe, d'octobre qui s'achemine vers l'hiver, du poisson que je ne suis pas, qui fuit de moi. Il fait chaud déjà, depuis quelques minutes que le soleil s'enfonce en moi de nouveau, je pousse, feuilles et tiges, ma plante reprend vie. Les passants près de moi circulent dans les allées, entre les arbres, les robes vertes, les jambes nues dans les tennis blanches des femmes, les épaules nues, les dos nus, des hommes, des femmes, des enfants tout près de moi marchant et dansant, la vie les anime, quand elle glisse au-dedans de moi qui suis en train, peu à peu, de me détacher d'elle, de devenir plante séparée de sa mère mais encore pleine de sève, encore capable de mettre des feuilles nouvelles, d'allonger des tiges tant que le soleil l'abreuve, même sans terre, même emporté par son esprit vers les pensées, dans la rivière des pensées devenue ciel, s'enroulant autour des gens qui passent, devinant leur silence intérieur, leur danse, leur entrain, s'accrochant loin aux bonheurs devinés, aux malheurs entendus, entrevus, survolant en ubiquité, l'esprit se détachant, se sauvant dans les sensations du soleil, allant comme les insectes d'une fleur à l'autre, d'un corps à l'autre, ressenti, humé, entendu, butiné par les yeux, les oreilles, pendant que le crayon court sur la feuille et que l'imagination peint, compose, ensemence les champs du rêve à profusion.
Le soleil d'octobre darde, écrase le petit corps encore vivant de l'homme que je suis, de nouveau, comme redonné à la vie, à la forêt du monde qui s'emplit d'enfants maintenant, rentrant de l'école dans le sillage des parents, comme des ruisseaux soudain surgissant dans le paysage au printemps.
Bonjour ! m'adresse une petite fille dans l'élan d'un grand sourire. L'avenir est ici pour eux en sortant de l'école. L'avenir est partout en dehors des établissements, des États, des institutions.
Encore une fois je suis tombé de la dernière pluie, je vais fleurir le temps d'une vie, ou le temps d'une saison parmi des milliards d'univers. Je n'aurais pas la folie de bâtir un empire, de perpétrer des guerres. Je vais juste passer, comme les vies précédentes, en plein éblouissement et sans me souvenir de rien.
Dans la profusion d'écume des jets d'eau ensoleillés des gamins torse nu éclatent de joie. Des pigeons picorent à mes pieds, un autre vient me saluer sur le banc à pas décidés, m'offrant ses fières couleurs et ses yeux clairs. Des gamins juchés sur leur roue arrière surgissent en peloton, contournent des goûters dans l'herbe. Le jour n'en finit pas d'être beau. A quelques centimètres de mon épaule des tiges de fleurs écarlates se dressent au bout de collerettes vertes. Une brochette de vieux en shorts et casquettes serrés sur un long banc s'alignent en face de moi de l'autre côté de la fontaine, des gamines jambes en l'air, bras en l'air, font la roue, le soleil.
Sculpture de Victor Brauner, 1945
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