Tu me vois molle, terne, sans grâce sans éclat, qui me laisse aller tout en bas, portant les déjections, recueillant la souillure sans un bruit, sans hâte, dolente et douce, et presque inaperçue. Je te laisse passer sans te déranger, sans t'inquiéter dans ta course sur l'énorme pont que vous avez construit pour me franchir, pour vous affranchir de l'obstacle que je peux dresser devant vous en allant mon destin de descendre toujours vers le plus bas, d'emporter tout chose usée, tout être mort, toute œuvre détruite là où seule je sais aller. Tu m'en sais gré, tu es soulagé, tu te soulages de me savoir porter en profondeur les peines, les labeurs, les sueurs. J'ai été durant tant de siècles et de millénaires ta déchetterie, ton évacuation, ton recyclage, ta jouvence, comme tu m'as chantée !... comme tu me donnes encore tes noms en passant quand tu me vois passer, l'Isère, la Drôme, le Drac, le Buech, le Roubion, c'est toi que tu nommes ainsi, ton amour des cartes postales, tes mythes, tes terreurs et tes grâces.
Moi je vais partout, toujours unique et diverse, jamais la même, traversant tout, du haut en bas puis de bas en haut, même ton corps, qui n'est pour moi que miettes. Tu ne m'entends pas mais pourtant c'est moi qui suis tes mots mêmes, c'est moi seule qui parle, ce matin si tu me regardes en passant, abêti autant que moi, partageant notre humeur.
Olivier Debré, Norvège brune ottual, 1978
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