C'est depuis le journal qu'il regardait le roman. Depuis la pensée d'hier qu'il voulait voir celle de demain.
C'étaient les pensées qui s'agitaient comme dans un aquarium qui faisaient l'objet de son observation.
Elles étaient libres pourtant mais c'est lui qui se déplaçait avec son cadre au-devant d'elles pour tenter de les saisir, de les réduire à des phrases qui seraient, tout au plus, comme des images sorties de la camera obscura.
Des natures mortes ? ... ce qui peut être très beau, dans leur splendeur arrêtée, extatique, non pas hors du temps mais qui a fait le plein de temps et le garde, tranquille, sans une ride, sans un regret, sans rien qui puisse lui manquer. Comme aussi les tableaux de Hopper... comme des images sanctifiées — si cela avait un sens — sauvées de la mortalité.
Caroline entendait le bruit du couvercle se refermant sur la marmite. Ce serait le début. Sur lequel il reviendrait, assez vite. Il travaillait comme un peintre, mais tous les peintres ne travaillent pas de la même façon. Un peintre musicien — voilà ce qu'il était en écrivant. Voilà pourquoi il n'arrivait à rien : il ne savait pas choisir. Ou il voulait toujours tout choisir, il avançait avec son cadre au-devant de ses pensées, mais elles filaient comme des poissons rouges et il aurait fallu la caméra d'un cinéaste pour zoomer toute la scène. C'était à l'infini la répétition du même désir.
Il reposa le crayon. Prêt à s'endormir — mais, s'étant mis lui-même en abîme, comme dans un puits, c'était impossible. Il n'avait fait que suivre une musique, il l'entendait encore... Pour se bercer, s'endormir, se tenir chaud. Car il était attaqué par la vieillesse, le froid, la maladie peut-être. Mais pas de tourments... il savait toujours se glisser sur la voie du bonheur.
Edward Hopper, aquarelle, 1932
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