Charivari de septembre


 J'avais, cette fois, passé une partie de la nuit devant le papier blanc sans rien écrire. Le message était clair : aucun mot ne viendrait dire la pensée, trop complexe, trop grande, qui se dressait devant moi comme un mur. Pourtant je la concevais parfaitement, elle était comme ce papier blanc, silencieuse et radicale.
Écrivant ce matin, je manque défaillir tant elle est submergeante. C'était un petit événement familial, la veille, une remarque, quoique polie, du grand-père sur le rôle de l'éducation des jeunes enfants qui avait déclenché une levée de boucliers de la part des parents. Devant de telles implications affectives il n'est pas facile d'observer des comportements pourtant significatifs et riches de conséquences. C'est bien là pourtant, dans ce temps primordial d'éducation que se produit et surtout se reproduit la réalité de la société. On n'est pas en mesure d'observer et d'analyser les comportements et les actes en eux-mêmes, on se précipite dans le jugement des personnes. Mais la personne n'est pas réductible à un acte. Un acte n'appartient pas en propre à quelqu'un, il circule, se reproduit, se transmet. Il ne s'agit pas d'éduquer des personnes, les évaluer, les juger, les rejeter éventuellement, grossir les effectifs des prisons, créer des classes d'exclus et d'autres de dominants. Il faut se faire observateurs et analystes des actes et des comportements afin d'en connaître les conditions et les implications, de les modifier, les infléchir, en avoir une certaine maîtrise pour bâtir le futur, (on commence, par exemple, à évoquer une justice qui se ferait réparatrice). Mais de cela il est périlleux de parler, hormis dans des livres savants qu'il est difficile de glisser dans la marche du monde.

Cette nuit, après avoir laissé la feuille blanche j'ai dormi dans des rêves dont je sors avec l'impression d'un bain dans la jalousie, où étaient trois femmes, rivales, dont je ne sais ce qu'elles convoitaient, ce qu'elles se disputaient. J'étais, je crois, l'une d'elles. Peut-être ne nous disputions-nous que le drap pour nous couvrir, que notre espace, notre nourriture... Et j'ai dû, dans ce laps de temps, penser plus avant la méthode pour parvenir à la justice, par déconstruction-reconstruction, dans le travail en équipe où chacun apporte sa part, dans la coopération pour créer un ouvrage commun, ainsi que dans la pédagogie Freinet. Je me rappelle d'ailleurs avoir vu et considéré avec satisfaction ce mot de coopération dans un livre feuilleté la veille à la médiathèque, ou plutôt que satisfaction l'esprit de jeu d'un gamin tenant son sac de billes.

En ce début septembre une frétillante famille d'hirondelles s'éjouit aux fenêtres de ma rue, vient visiter sous les toits ses anciens nids. Elles s'étaient fait très discrètes tout l'été — pendant la présence intempestive des martinets, mais ils partent à la fin juillet, — sont-elles restées là incognito ou ont-elles fondé famille quelque part dans le voisinage ? Elles sont là, comme revenues chez elles, joyeuses d'être en famille, sillonnant rituellement leur appartenance au quartier. Elles sont toutes grandes, (sont-elles bien les mêmes ?), d'un beau noir charbonneux clignant dans le soleil, petite famille nombreuse qui s'éparpille et se rejoint comme dans une cour de récréation les enfants, ou dans un ballet les danseurs, libres dans l'espace conquis. Les tourterelles soudain maladroites qui s'étaient invitées sur ces toits leur laissent diligemment la place.

Francis Picabia, Claire

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