Voyages


 Parfois j'aimerais m'asseoir, avoir monsieur Temps en face de moi pour une conversation.
Je lui demanderais :

— Vous croyez que c'est bien d'être un animal parlant ? Vous ne parlez pas, ce n'est pas nécessaire. À quoi cela nous sert-il donc ?

— Vous n'êtes êtes pas monsieur Temps, me répondrait-il. Vous avez besoin de ça. Vous pataugez dans la parole. Cest votre milieu ambiant. C'est votre caisse de résonance.

— Vous voulez dire qu'on s'écoute parler ?

— C'est une bonne observation. Vous êtes comme dans une caisse. Vous vous renvoyez les ondes. Vous grouillez dans les messages.

Mais je n'ai pas envie de continuer. Je sens que je parle tout seul. Même si monsieur Temps commence à s'amuser, mais il s'amuse de tout. Ou plutôt il joue, c'est un enfant. Et même ce qui est grave devient beau dans son jeu — dans la danse de son corps au regard clair, où la lumière vient toujours tout surprendre.

— Mais tu peux continuer à le dire, ajoute monsieur Temps, cela me touche.

Toucher monsieur Temps... Je n'aurais cru pouvoir le faire.
pourtant quand je joue au piano, je sais que nous nous frôlons... l'espace d'un ineffable emportement... mais ce mot ne lui dirait rien. Je le mettrai dans la valise de monsieur Nuit, le laisserai partir dans le train de nuit... avec tous ces mots qui voyagent... Tous ces voyages... je n'entends plus les faire... quelques uns seulement, ceux qui me prendront, me raviront, me boucleront, moi aussi, dans leur bagage.
Quelquefois je devine que monsieur Temps, lui aussi, est peut-être mortel.

Peinture Albert Marquet, Alger

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