Un matin, ou un soir, je me suis dit : Je lis maintenant comme j'écris : puisant et rejetant à la rivière.
C'était à force de la fréquenter. Elle a eu ce curieux effet, après tant de familiarité. Comme une caverne s'est creusée, un ventre où les lectures, les écrits entraient et sortaient à leur guise. Je peux le dire au présent, je suis comme un alevin dans cette grotte, dans ces cavernes et je fais mon butin de mots, de livres que quelque chose (le goût, le flair, le désir, la couleur) me met sous le nez, sous la dent, me transverse au cœur...
Maintenant je mange des livres... oui, il faut le dire, je m'en suis rapproché. Je m'en étais éloigné, exactement comme la mer, et qui revient, alors elle vous rapporte ce qu'elle avait emporté. Et là vous commencez à manger. Ce n'est pas monsieur Nuit, c'est monsieur Océan. Et les deux font la paire. Ils s'entendent comme larrons en foire — au milieu vous mangez — vous n'avez rien d'autre à faire. Ils vous mettent les mots dans la bouche, et vous les remportent. Ils vous adoptent, vous, orphelin que vous étiez. C'est fini, vous avez trouvé votre filiation, votre poche de vie, vous êtes comme un têt de crabe sur la plage, comme n'importe lequel de ces squelettes ou de ces ventres qui roulent, pleins de sable mouillé. Voilà, la place des mots dans votre petit corps — vous l'avez trouvée. Il n'y a plus qu'à s'adonner au bruit des flots et du vent, du ressac et du ruisselet, au poids du soleil, au gouffre de la nuit. Écrivez, lisez — c'est tout petit, tout petit, en même temps ça part dans l'infini, l'infini.
Olivier Debré, Gris Coulée de Loire à la trace ocre, 1987
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