Paysage


La rivière est nichée au creux des montagnes — si l'on peut dire car elle n'est pas une paresseuse qui fait la sieste à l'écart du monde affairé, bien au contraire, puisque c'est elle qui inlassablement creuse son lit, façonne le paysage, entretient la vie du pays tout entier. Mais elle s'offre en poses avenantes un peu partout sur son parcours pour nos clichés de cartes postales bien qu'elle soit à l’œuvre sans s'arrêter une seule seconde. Les paysages sont des fictions éparpillées sur tout le grand livre de l'univers qu'il nous est donné de contempler, de parcourir, de façonner nous aussi à notre échelle plus réduite et plus temporaire. La rivière, dans toute l'étendue de son grand corps (la mer, les ruisseaux, les glaces, les nuages, l'atmosphère) est une seule danse, contorsionniste et infinie, à nos regards, puisqu'elle nous baigne, baigne notre planète et nos destins. Nous ne sommes que ses poissons. Comme nous traitons les poissons, nous nous traitons nous-mêmes. Comment avons-nous pu perdre notre âme, ou plutôt la perdre de vue, en perdre la conscience et nous construire une société mortifère, souffrante, acharnée à sa perte... ce n'est pas un bien grand mystère : nous avons nos faits et gestes, nos méfaits sous les yeux.

Oui, il m'arrive de manger des poissons, mais je veux les regarder dans les yeux, attendre leur assentiment, rester frères, comprendre ensemble que l'âme est l'eau, que la mère est la mer.

Olivier Debré, Typhon vert

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