Deux instants de la rivière


 

 En passant le pont on est à bonne distance au-dessus d'elle pour percevoir son humeur. On n'entre pas en dialogue, elle s'offre à la vue tout entière, dans l'instant. Tu sais si elle est lourde, soucieuse, chargée des affres du monde ou paisible, légère, tu vois sa pureté ou sa luxure selon l'heure et le jour. Son humeur n'est pas en phase avec l'actualité des hommes, c'est pourquoi elle peut nous paraître ailleurs, rêveuse, ses étranges couleurs, ses grands miroirs lisses immobiles, ses tons mêlés et troubles nous communiquant ce glissement, cette hypnose qui nous relie à elle pour peu qu'on s'y laisse prendre.

Le spectacle, le film ou la photo, le crayon sur la feuille, la montreront dans un instant présente, parfaitement immobile en son long ruban vert visible en arrière du quai, au premier plan duquel défilent à leurs fenêtres des visages animés de toutes expressions, de toutes humeurs, dans la lente régularité du flot des voitures qui un peu plus loin s'interrompt, fait une pause dans la chaleur, pour laisser passer les piétons à l'entrée du pont.

Peinture de Pierre Boncompain, Eden

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