Le réveil de l'eau


Toute la journée j'ai été la proie des eaux d'un fleuve – comme si ma décision avait été prise de suivre le cours du rêve. C'était un long sommeil duquel j'émergeais de temps en temps pour matérialiser un jalon, un acte qui ancrerait le rêve dans la journée présente – par exemple remettre au mur sur la rue ma plaque professionnelle, car j'étais à nouveau SCRIBE, et revêtir un costume présentable – il semblait que maintenant j'allais savoir vivre sur les deux tableaux, avec mes deux faces, si bien que je puisse miroiter comme les poissons, selon que je renvoie l'image de mon flanc droit ou de mon flanc gauche.
Cela se ferait malgré moi. Je serais complet sans même m'en soucier.
Mon exploration de la rivière me comble de joie, mais j'ai décidé de ne plus le chanter pour moi – cette perte de temps, cette simple jouissance de mon écho – je me sens reconnaissant envers la rivière qui m'invite, et qui s'invite – lorsque je marche dans ma cuisine je la sens maintenant sous mes pieds – je reconnais la grande peau verte et jaune qu'elle m'a donnée, un jour récent, pour mettre sur ma table, sous la matière d'une toile cirée qui m'a caressé l’œil sur l'étal du marchand. Nous sommes devenus si familiers que je marche et danse comme elle, chante comme elle et tâtonne sur le piano avec la force et la durée de sa patience, avec ses retournements et ses lassitudes, et elle me murmure sans cesse de petites et grandes histoires, comme on parle aux feuilles des arbres, mille à la fois ou parfois à une seule seulement. C'est elle qui m'a permis la liberté, que je n'osais pas prendre – voulant être un de ces hommes qui ont un nom, un métier, une situation comme – mais j'ai rencontré une rivière et je me suis marié avec elle, et nous faisons tout dorénavant ensemble et séparément, y-compris écrire.

photo r.t

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