Il ferma le livre. La rivière était là. Il n'avait pas prêté attention à elle tout le temps de sa lecture. Mais elle était là en face du banc où il s'était installé. Il faisait si bon ce soir, et même s'il l'avait ignorée, c'est elle qui faisait cette beauté dans laquelle tout baignait. C'est elle qui éclairait le soir de ce bleu tendre, de ce calme. C'était un bleu léger qu'il pouvait comparer aux fleurs de véronique, s'accordant au blanc du ciel bleu pâle qu'il reflétait, mêlait au soleil bien présent, haut encore dans le soir avancé. Un soir plein d'oiseaux de toutes sortes, qui passaient en se manifestant de leur voix, même les canards ponctuaient leur vol d'un bref caquètement intermittent. Les pinsons avaient eu leur part et puis les freux se sont lâchés tous ensemble, comme un joyeux accordement de fanfare qui leur prit quelques minutes, avant de disparaître. Les merles improvisent, à présent.
La rivière s'aplatit, se lisse, s'accorde au silence qui se pose, animé de sons plus discrets, plus espacés, chants de tourterelles, battements d'ailes de ramiers dans les platanes, libres, presque sensuels, des pas tranquilles d'un passant, d'autres oiseaux plus lointains, des voix, un groupe d'adolescents qui rentrent. La rivière est un peu plus grise, un peu plus lisse, encore un peu plus silencieuse. Mais c'est elle le chef d'orchestre, c'est elle la maestra. Pour moi, du moins, je la reconnais telle.
Nous avons le choix de notre planète. C'est ainsi. Nous ne sommes pas tous les mêmes terriens. Nous avons une foule d'écosystèmes qui s'interpénètrent mais ne s'unifient pas, ne se réduisent pas en un seul. Nous devons choisir, à tout moment, notre planète.
Les deux ramiers, de leurs ailes, font une musique battante et percussive qui tient de l'étoffe, de l'orage, du souffle, de la cascade et de la danse, ils reviennent jouer leur pas de deux sur les branches de platane, se perchant en vis à vis, tête bêche, puis s'affrontent en duel de voiles et de capes.
Si la rivière glisse, donne le ton du silence, donne la mesure et la couleur, la largeur du paysage, si la virtuosité des merles est en vedette, le soleil plongeant encore dans le platane tient tout dans ses bras. Tous mes sens ravis m'offrent un grand point d'orgue... alors que le concert s'exalte à nouveau, tous les acteurs et toutes les voix reviennent. Je choisis la folie du merle, et comme s'il l'avait senti il se déchaîne, il se surpasse. C'est un délire d'émerveillement.
Le calme revient, une escadrille silencieuse de canards remonte la rivière comme une volée de flèches de paix.
Puis un autre mouvement commence, avec merles, corbeaux et souffle de vent... je me laisse emporter.
Peinture de Raoul Dufy
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