Et celui-là qui s'est exclu de l'humanité en tuant son frère, son semblable, son fils. Qui a-t-il suivi, à quoi a-t-il acquiescé pour en arriver là ? N'a-t-il jamais lu Bartleby, n'a-t-il jamais eu envie de dire : je préfèrerais ne pas... Quelle loque est-il devenu sous le vêtement plastifié qu'on lui a fait revêtir, sous l'attirail létal dont on l'a harnaché... mouton bêlant ? – on fait de lui ce qu'on fait des animaux.
Seul l'homme peut devenir machine létale. On lui a dit de tuer son frère si a+b = rond ou carré. On lui a mis une boule de pétanque ou de bowling dans le chargeur entre l’œil et l'oreille, comme on fait aux chevaux, une joue de cuir accrochée à la face, un ordre de détruire, une pancarte de boucherie pour tailler le corps en morceaux, faire une rivière de sang. Pourquoi a-t-il trouvé la force de se.
De se nier, rabaisser – de ramper sous l'aboiement du chef.
Mystère. Mystère de l'homme qui se nie. Pour n'avoir plus aucun mal ensuite à nier ses semblables.
Il se tait. Les passants s'aperçoivent alors qu'il parlait tout seul, sans être vraiment là, assis à leurs pieds dans la rue. Ses yeux regardent ailleurs.
C'est monsieur Philosophe, que j'ai enfermé comme un esclave aux fers pour ne plus l'entendre, il me sert à ça : à le montrer dans sa cage qui vocifère. Celui-là au moins je pourrais le reconnaître comme une de mes créatures, un personnage que j'aurais trouvé sur mon chemin et que je peux montrer aux passants. On lui donne des pièces, parfois, à force de le voir assis sur un paquet de vieux journaux, à hauteur du soupirail, on finit par le tolérer dans sa ville, dans son quartier. Comme Socrate il est laid. Comme Diogène il vit dans la rue. Je lui ai déjà parlé mais il ne me calcule pas. Comme si j'étais transparent. Mais il est là tous les jours. Et il est bien réel.
photo r.t
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