Deux tourterelles, dans cette soirée d'été radieuse, sont comme deux petites boules d'argile en attente de pétrissage sur la plateforme de cheminée. Leur couleur de barbotine claire fait le dos rond sous l'azur de tant d'heures de chaleur – on ne sait plus dire l'heure tant les journées sont longues, hors limites, comme ces deux petits corps informes, fondus en apparence et qui pourtant respirent une fraîcheur évidente. Leur glaise molle se déploie, souple, reprend forme d'oiseau candide et gracieux, pour se rapprocher l'un de l'autre, ou se détendre, le vêtement de plumes semble alors lisse coquille, comme la surface d'un ruisseau.
À mettre ses mains sur l'argile, à modeler ses sensations, celle de la beauté, celle de la rondeur, de la fragilité, de la permanence, l'artiste entre dans le monde, joue sa partition, se fait voir et entendre, non plus de ses semblables – de lui-même et jusqu'à la destruction – mais du monde libre et divers qui est l'espace ouvert de tous, et ici, à hauteur d'arbre et de toit – les deux tourterelles s'envolent –, je suis aussi à hauteur de danse des martinets, ils me côtoient et me font place dans le ballet, m'entourent de leur chorégraphie fluide et aérienne, criante et silencieuse.
Sur le sol chaud d'asphalte où je suis descendu, je sens maintenant leur joie de plus près, déchiqueter l'air. Leurs corps acrobatiques offrent à voir d'en-dessous l'éventail des ailes déployées, le ventre lisse ; les rues leur sont familières, faites pour eux comme autrefois pour les enfants ; les vieux murs de pierres de molasse, les plus hauts, les plus beaux, sont choisis par quelques uns pour leur nichée, et tous les escortent, gambadent alentour, la danse est collective et parfaitement individuelle en même temps. Ils tirent parti du décor sans jamais le toucher, intéressés sans doute uniquement par les insectes qu'il abrite.
Une petite fourmi ailée vient s'abattre sur ma feuille, la palpe doucement, s'immobilise puis fait quelques pas rapides, sautillés, longue et leste dans son tutu transparent, puis s'envole soudain comme une flèche.
Dans l'odeur de tilleul et de jasmin, le soir pâlit doucement, je tire parti moi aussi du décor, sans trop le toucher, juste du bout du crayon mais surtout j'y jette mes yeux, et tous mes sens, dans une sorte d'appétit confiant, sans limite.
Karel Appel, personnage.
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