Modeste Intelligence


 

J'ai la grande joie aujourd'hui de l'avoir rencontré. Je ne sais plus qui me l'a présenté... c'était à demi-mot, ou plutôt par heureux indices trouvés, vus et entendus chez les amis, ou les inconnus de mon voisinage, dans leurs gestes de bienveillance, ou d'oubli, dans l'échappée de leurs rêves ou de leurs désirs ; je revois la large véranda de Miriam faisant toute la place parmi les calmes fleurs comme pour de possibles venues. Tout cela m'a mis sur son chemin, m'a conduit jusqu'à lui, ce soir.
Modeste Intelligence, je me suis laissé voguer sur son bateau, au bon soleil du soir, en assistant à toutes ses prouesses, ses jongleries dans l'espace avec tout ce qu'on pouvait entendre d'oiseaux – disputes de choucas de commedia dell'arte, sifflets de samba do Brasil des martinets, airs de romance des tourterelles, tout ce qu'il pouvait y avoir en passant de voitures et de trains, tout droit venu de la musique d'Edgard Varese, avec le baume permanent du soleil sur mon dos, tandis que sous mon chapeau de paille Modeste Intelligence faisait le ménage mieux que Mary Poppins, mieux que Monsieur Hulot, alignant le futur sur le passé, la folie sur la sagesse, mettant à table ombre et lumière dans un festin céleste. Dans ces minutes interminables où tout s'accorde, je vis l'univers de ma vie, les yeux fermés, les yeux ouverts, invité parmi tous les invités de ma connaissance, échangeant comme dans le jardin des délices de Jérôme Bosch mes ailes langues de poules pour celles d'argent noir des martinets, mes organes digestifs pour un concert de grenouilles ; dans un vaste ciel bleu mon univers s'éparpille, joue dans la virevoltante imagination de Modeste Intelligence.
Il m'en reste un ami inattendu.
Tandis que Vénus rayonne merveilleusement ce soir.

Karel Appel, lithographie

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