Lire dehors


 

 Enfin je me suis enfoncé dans cette matière chaude et élastique, pleine d'inimaginable bousculade de beauté, de vie profuse. Quelque chose m'a libéré de mon attente un peu inquiète ou plutôt s'est libéré, me laissant entrer, doucement, m'enfoncer.
C'est la cloche, peut-être, sa riche sonorité fauve venant comme le souffle d'un lion chauffer la terre, danser, suivie par une autre, plus grêle, plus pondérée, frayant ses pas dans la grosse pâte de la foule qui fleurit ; j'en entends tinter une autre encore, étrangement sautillante, intermittente – il y a des églises, des anciens couvents partout dans cette ville. Tout maintenant est tellement remuant, je comprends, c'est midi, beaucoup viennent déjeuner dans le parc, très beaux, tous différents, vêtus ou demi-dévêtus, mobiles, sonores, attrapant le rythme des arbres et du ciel, celui de l'herbe ; le ton monte toujours, paroles, appels et le brillant concerto du merle avançant au milieu du public, suivi par un flot d'orchestres et de couleurs qui se rapprochent, les lignes de beauté des humains trouvent place, se laissent voir, les feuillages tapis des acanthes se cachent ; le solo d'un merle surgit derrière un dos, un autre contourne un bosquet, des chants, des couleurs s'emportent, se lancent, s'accompagnent ; une amplitude dans la levée créatrice en tous sens et pour le jeu de tous les sens se déploie maintenant dans la profusion des surprises, le mûrissement des désirs et l'éclatement des rêves en plein jour.
Parti avec un livre pour tromper la demi-angoisse d'écrire, je nage, cours et vole de tout mon corps à présent, témoin, glissant dans les interstices d'une pause de midi qui est un vrai festin de vie. Les garçons se font beaux dans leur coupe de cheveux, les filles dans l'air qu'elles boivent de leur sourire, les pigeons dans leurs plumes finement tournées, dans leurs pas de ronde enfantine. Ce désir d'écrire la liane des relations qui me tiennent au monde maintenant abouti à la mesure de son inquiétude.
Enfin je peux lire le livre, profiter de tout ce qui vient.

Photo Thami Benkirane, La dame du terrain vague est de retour. Fès ville nouvelle, le 17 juillet 2020

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