Il se tient accroupi, les pattes de devant appuyées au sol
entre les genoux écartés, comme une grenouille – ce terme lui convient
bien, son animalité, sa plasticité interne, les sensations de roulement
et de réchauffement qu'il lui procure l'aident à progresser dans le
mouvement. Il se tasse un peu, en même temps qu'une houle se manifeste
dans son ventre. Il se ramasse davantage sur ses organes – c'est le mot
qu'avait employé la femme. Il se laisse doucement tomber, telle une
matière fécale – c'est le mot qui lui vient malgré lui, mais c'est aller
trop vite en besogne. Il se laisse rouler doucement, accompagne sa
lourdeur jusqu'au contact du sol, en souplesse. Il entend des
gargouillis en résonance avec le sol soudain massivement présent, dur,
et noir.
Sans l'avoir voulu il s'est remis en position de batracien –
il s'aperçoit de sa lointaine parenté avec Grégor, Grégor Samsa. Mais
beaucoup de chemins avait été faits depuis, comme des sorties de
tunnels, des remontées. Des bulles, des sons, des notes de musique
s'amusent avec le sol contre lequel il s'affaisse à nouveau, se mettant
en position de meilleure résonance, pensant déjà aux musiciens
d'orchestre, pensant à nouveau à la danse, à l'assouplissement. Mais le
corps de vieillard manifeste ses limites diverses, ses douleurs. C'est
un autre âge, pense-t-il, il y avait l'âge glaciaire, l'âge
préhistorique, les bouillies premier âge, l'âge scolaire, l'âge des
cavernes – l'âge des cavernes était celui dans lequel il voulait entrer
tout à l'heure. Celui-là n'avait pas tout dit, il voulait y retourner
voir pour défaire son mystère. Il voulait offrir cela à monsieur Nuit –
non pas les cavernes, mais La caverne – de Platon ; non pas Pluton mais
Platon – et son ventre parle plus fort maintenant, entend mieux aussi...
Arc-bouté sur la table il écrit, ses jambes presque comme celles d'un
lièvre touchant à peine le sol.
Cette femme l'avait mis sur la voie ;
mais c'était à lui de jouer. Elle avait seulement dit, l'étonnant, "Ah
les organes" (les devinant). Il avait compris qu'il n'irait pas plus
loin dans la danse avec ce bagage clandestin, ces organes. À présent il
remonte à l'âge de la caverne, à cette grotte, à cet emmurement. Il sait
qu'il va en sortir.
Le merle noir.
Ses pattes
enjambent les feuilles mortes, tout un tas de débris, l'herbe repoussée.
Son bec fait place nette. Son œil rond comme une bille orange surgit
virevoltant. Les pattes écartées déplacent le fuseau de son corps lisse.
C'est le merle de monsieur Nuit. Il ne doit pas être loin, son patron.
Il soulève les feuilles, l'air de rien, avec une grande vivacité. Il les
fait voleter. Son œil jette sa bille orange dans le jeu, un astre
plein, fruité, un bec raquette, batte et ciseaux, fourchette et
baguette, lame et lune, lance et berceau, qui jongle, qui caresse
vivement. Tout en un, sans presque s'ouvrir – à quoi joue-t-il, que
sonde-t-il, qu'écoute-t-il ? – ailleurs on le verra fendu en pincette
tenant fermement un ver de terre replié deux ou trois fois ou pendant
des deux bouts. Le même, est-ce bien le même qu'on verra s'entrouvrir
pour chanter à la lune ou plutôt à la compagnie des terrestres ses
trilles merveilleux, ses mélodies rebondies qui emplissent de joie et
donnent le frisson – à monsieur Nuit lui-même.
Peinture de Karel Appel
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