Les premières pâquerettes rayonnent leur petite blancheur dans l'herbe.
Le carré de terrain nu est toujours là, comme un type entêté. Il campe des pieds de la table au pommier du Japon, à quelques mètres du seuil de la maison.
Le muscari, que j'ai réussi à sauver de l'assaut de la brigade des robots tondeurs, est en train de fleurir. Je lui renouvelle la mini-barrière de bambous et raphia protectrice. Au-dessus de lui le platane s'élève fidèlement, tous bras écartés, toutes poches ouvertes, accueillant merles, mésanges et le pic noir, corps vigoureux, long fuseau, tête fine, le bec pointu déjà, je ne sais s'il est juvénile ou adulte, mâle ou femelle, je l'ai entendu quelques semaines auparavant faire de très curieux appels, ils sont une famille dans ce jardin. Le carré de terre crue campe sur ses positions, sombre, renfrogné. La douceur du ciel laisse résonner les sifflets et les chants, même les silences, si beaux.
La terre d'ombre me lance vers Nicole. Je la vois qui tire sa houe, loin à travers les brumes. Je te vois qui tires ta houe. Ne m'entends-tu pas... les premières pâquerettes rayonnent leurs petites blancheurs dans l'herbe... d'ailleurs, c'était Pâques il y a deux jours.
Le merle est entré tout entier dans un trou bien rond du platane, depuis plusieurs années ils ont ce nid, ou cette cachette.
Le carré de terre noire toujours aussi obstinément présent. Il ressemble à un zombie de cimetière. Le 5 mai 2022, le 9 avril 2023, les chiffres tournent leurs dates, lancés comme une roulette par le crayon. Deux petites choses ailées dans les branches au-dessus fouettent l'air dans leur fuite. Le Renfrogné s'obstine et me rassure : il compte les jours.
Mais que faire de ces mots, le matin ?
Le mieux serait de les laisser s'égailler, suivre leur pente, leur humeur, peut-être ragaillardis, regonflés ou renouvelés par leur passage dans ma nuit, par l'attention que nous avons eue, momentanément, les uns pour les autres... Et où suis-je, moi-même, ce matin, pourquoi désemparé ainsi ? raccrochons-nous, me dis-je, rabibochons-nous ensemble, reprends le chemin du papier, celui du réseau social, du courriel, du téléphone... imagine, me dis-je, et prends la peinture, mets-toi au piano, prépare la maison pour des invités, prépare-toi pour un voyage. Finalement, choisis cette photo étrange de ces humains qui se cherchent, ou s'appellent, ou se capturent.
Photo de Thami Benkirane
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