L'intérieur de la chambre au petit matin. C'est un tableau, c'est une présence, les feuilles du papyrus – je l'appelle ainsi, c'est devenu son nom, depuis le premier jour, je crois, il doit y avoir de cela une soixantaine d'années – la même plante, seul son pot, une partie de sa terre, ont dû changer. Elle était dans le grand couloir, derrière la lourde porte d'entrée, à côté du porte-parapluie, un bel objet de la taille d'un petit enfant, une sorte de cylindre que j'imaginais comme le pied d'un énorme roseau sur le bord d'un marais d'une jungle à la Douanier Rousseau. À côté, sous la lumière du jour, donc, qui filtrait de la haute fenêtre constituée par trois ou quatre grands carreaux alignés au-dessus de la lourde porte d'entrée, comme la lumière d'une canopée tropicale – mais de l'autre côté il y avait la rue, qui pouvait être assez bruyante, ou silencieuse, selon les heures de la journée, selon les jours, résonante de l'animation d'une foule les jours de marché, ou des conversations, des salutations, des exclamations des passants, des bruits divers d'une petite ville de province comme on pouvait encore en imaginer dans ce milieu du vingtième siècle en échos des romans de Flaubert ou de Victor Hugo, et même de Dickens, avec les bidons et les chevaux, mais aussi de bruits de camions et de mobylettes, de vélos et beaucoup de bruits de pas, reconnaissables, plus sonores et pressés des femmes, d'autres parfois identifiés avec leur voix, leur activité ou leur empreinte familière.
À l'intérieur, dans le coin, derrière la porte lourde et familière elle aussi, comme une aïeule, une figure ancestrale de bourgeoise hiératique gardienne des lieux, dans cette pénombre de bord de jungle aquatique, à côté des pattes des échassiers que représentait le porte-parapluie, il y avait le papyrus, que je ne pouvais appeler qu'ainsi car ses larges feuilles aux corps de flamants, montant nonchalamment et se courbant, s'ouvrant et s'écartant vers la haute lumière solaire et retombant courbées gracieusement vers celle, plus bleutée et grise des marais, ces belles langues, plantées comme un grand bouquet de plumes à écrire, plumes de La Fontaine, plumes d'oie, ne pouvaient être que des papyrus du Nil, du lent miracle de la civilisation, des merveilleuses traces du dessin, de l'écriture, de la pensée, de la musique, de tout ce que m'évoquent encore, aujourd'hui, tous les jours, le papier crayon qui trace sous ma main, tôt le matin quand une couleur de l'ombre se pose sur le pot de papyrus – bouquet d'oiseaux – et que je tire le rideau pour qu'il reçoive la lumière du matin.
Peinture Henri Rousseau, 1910
Commentaires
Enregistrer un commentaire