Les touches d'ocre rouge


 

 Sautant d'un rivière à l'autre comme d'un arbre à l'autre, c'est sur une autre montagne que j'atterris, ici, dans un chaos de granite à travers les couches brisées, soulevées, cassées, auquel s'accrochent les longues racines des pins plongeant en profondeur, forçant ou tentant de forcer la dureté de la roche avec leur tendre force devenue croûte mais la tempête, les vents, la neige qui s'en sont mêlés au cours des millénaires et tout récemment encore il y a quelques années, laissent tout cela dans un enchevêtrement titanesque, à la surface duquel la fourmi humaine se déplace, ou croit se déplacer quand tout en réalité subit le mouvement du temps, bascule et dévale en galaxies.
Les grands pins élancent vers le ciel leur grand tronc tout couvert de larges touches d'ocre rouge étagées comme dans une peinture d'André Derain et qui ont cette matière légère et douce, ni tiède ni fraîche, ni chaude, idéale à la main, d'écorce qui se brise rouge foncé et qui nous reste comme un inestimable cadeau du monde, une friandise pour le regard et le toucher qu'on laisse s'écouler entre les doigts ouverts. En bas, la rivière sortie au soleil du pied de la montagne décrit de larges méandres dans un vaste lit pierreux avant de trouver le fleuve rageur qui descend à la mer. Très haut des oiseaux blancs, aigrettes ou mouettes promènent eux aussi leur regard sur la rivière bleue qui serpente, toute petite au-dessous. Nous les voyons dériver, s'attendre, partir ensemble, tandis que nous sommes, comme nous semblent l'être les remous blancs sur la rivière, immobiles, sur notre chemin de fourmis. 

André Derain, autoportrait à la casquette

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